#Droit : quatre questions à David Restrepo
Le club Droit & Entreprise des Alumni d’HEC a organisé le 27 avril 2018 un séminaire intitulé « Legal Systems for the 21st Century ». Cet échange, qui a duré près de cinq heures, avait pour but d’éclaircir les forces et faiblesses des mécanismes qui régulent le comportement des entreprises. Son co-organisateur, David Restrepo Amariles, professeur en droit à HEC Paris, partage ici son analyse des défis auxquels les systèmes légaux du 21ème siècle doivent faire face.
Pourquoi avoir organisé cet événement ?
David Restrepo : Nous avons remarqué l’existence d’un déficit de communication entre plusieurs communautés et parties prenantes du secteur de la régulation d’entreprises et du règlement des litiges, notamment entre les universitaires, les décideurs politiques et l’industrie. Les réformes du droit, et la pratique juridique en général, ne bénéficient pas toujours des recherches scientifiques et des preuves associées. Notre intervenant principal aujourd’hui, Christopher Hodges, professeur à l’Université d’Oxford, est un expert mondialement reconnu dans ce domaine. Ses prises de position peuvent paraître provocatrices, mais elles sont d’une grande profondeur. Bon nombre de ses publications sont d’ailleurs essentielles aux débats actuels. Elles rappellent la nécessité de dépasser les preuves anecdotiques, d’intégrer les communautés et des preuves empiriques pour reconsidérer d’une façon plus globale le système juridique au-delà de l’Etat. Nos systèmes juridiques font clairement face aujourd’hui à de trop nombreux défis, sans pouvoir les affronter de façon efficace.
Utiliser la procédure juridique pour mettre l’équité sur le devant de la scène
Le Professeur Hodges est convaincu que la dissuasion a eu un impact négatif. Il a insisté plusieurs fois sur le fait que les régulateurs ont besoin d’intégrer la notion « d’équité ». Votre réponse ?
Je suis entièrement d’accord. La dissuasion et les visions traditionnelles de commandement et de contrôle de la loi ne mènent pas à l’équité. Nous devrions aussi regarder de plus près l’équité « procédurale », qui montre que les individus ont l’impression d’être traités de façon plus juste lorsqu’ils participent à la consultation et aux processus de prise de décisions. Cette dimension de la loi doit être mise en avant aujourd’hui. Nous avons de nouveaux outils disponibles, tels que ceux offerts par la smart law et la civil tech, pour garantir une participation plus large et inclusive des citoyens. La question que nous nous sommes posé pendant notre séminaire se concentre sur la consultation dans les processus législatifs, qui ne réussissent pas toujours avec leurs mécanismes réglementaires traditionnels top-down . L’idée d’introduire l’équité comme concept central ne veut pas dire que nous nous débarrassons de la justice procédurale, mais que nous mettons l’équité au centre du jeu, tout en réfléchissant aux procédures juridiques pour y parvenir.
À HEC Paris, nous avons poussé ce concept plus loin, à travers l’idée de loi globale. Nous avons étudié les régulations d’entreprises soutenues par les techniques de co-régulation, et pas seulement via l’autorégulation, ou le commandement et le contrôle. La co-régulation demande un fort investissement de l’Etat, des citoyens, des entreprises et des associations. Mais d’un point de vue technique, elle peut avoir un rôle de déclencheur et de soutien en améliorant la communication et les processus démocratiques. Cela mène à moins de situations de conflit, et se révèle plus juste pour les parties prenantes. Car cela peut permettre d’élargir le champ d’action de ceux qui participent à la régulation des comportements des entreprises. Et c’est une préoccupation que nous partageons tous.
Comment espérez-vous prolonger le débat initié par le séminaire d’aujourd’hui ?
Un des participants à la discussion de cet après-midi travaille à l’OCDE (Lorenzo Casullo, conseiller économique et politique). Cette institution a une forte influence sur les régulations et la politique gouvernementale de tous ses États-Membres en fournissant des recommandations politiques. La prochaine étape est de contribuer et de s’engager davantage autour des recommandations futures que l’OCDE émettra en ce domaine et pour des sujets similaires. Notre intérêt principal, en tant que spécialistes du droit, est d’aider à créer les liens nécessaires et à relier la recherche académique aux décisions politiques. Je travaille déjà sur un projet à caractère politique avec le professeur d’HEC Alberto Alemanno : par ce biais, nous souhaitons partager nos idées sur les défis que les nouvelles technologies peuvent créer vis-à-vis de la régulation étatique. Nous explorons aussi la façon dont les nouvelles technologies peuvent inciter les citoyens, les entreprises et d’autres parties prenantes à participer de manière plus efficace aux processus juridiques et de régulation.
Nous impliquons aussi nos étudiants dans nos projets futurs. Deux d’entre eux collaborent avec nous sur le projet OCDE, et un autre serait intéressé de nous rejoindre de façon permanente après avoir fini ses études.
Et au-delà de l’OCDE ?
Nous voudrions faire un peu plus que des recommandations aux décideurs politiques. Et il y a aussi de nouvelles façons pour les entreprises de créer un lien avec les décideurs politiques et les régulateurs. Les entreprises devraient d’ailleurs aussi explorer les moyens de transformer leurs cultures et leurs organisations pour répondre aux révolutions en cours à l’intérieur des systèmes juridiques du 21e siècle. Cela signifie qu’elles doivent créer de nouveaux postes pour communiquer régulièrement avec les régulateurs et les contrôleurs. Ces postes seraient conçus pour communiquer au sein de l’entreprise comme à l’extérieur. Il devrait y avoir un contact régulier avec les régulateurs pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise et la conformité. Aujourd’hui, il n’y a presque pas de liens entre les deux, ce qui peut mener à des sanctions. Ce que nous disons, c’est qu’il faudrait s’unir davantage, d’un point de vue structurel comme en termes de procédure.